"Je suis d'abord mes propres pas" |
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Albin Michel, 1998 |
«Le blason de notre famille se compose d'un faisceau de lances d'or
assorti de la divise "Je suis d'abord mes propres pas". Ces lances, ce
blason, tout cela peut paraître exclusivement militaire, guerrier,
masculin, et cependant je puis t'assurer que parmi les femmes de la
famille, nombreuses sont celles qui résolurent de ne suivre que leurs
propres pas, avec une liberté souveraine, une aisance et une élégance
que pourraient leur envier bien des jeunes femmes de cette fin de
siècle. Ma tante Elena de Pikkendorff, par exemple, qui chassait les
sous-marins à bord de son bateau-piège, ou lady Zara Pikkendoe, ou
encore ma tante Zara...» Jean Raspail |
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- FIGURES DE PROUE : LA GESTE DES PIKKENDORFF - |
L es Pikkendorff définissent et représentent une certaine «attitude» (terme-clef) dans l'oeuvre de Jean Raspail — un peu comme la «Patagonie» y figure une certaine disposition de l'âme. Si, dans Le Camp des Saints, il est dit que «rien n'est plus fort qu'une attitude», dans Sept cavaliers..., l'attitude se trouve définie comme la «colonne vertébrale de l'âme» (p. 76), tandis que dans Les Yeux d'Irène, il est précisé que «[l'attitude] peut tenir lieu de conviction, et que c'est elle, le plus souvent, qui engage l'existence. » (p.51)En ce sens, les Pikkendorff incarnent, chacun à sa manière, hommes et femmes, un certain type de caractère dont l'essence, pour ainsi dire, se trouve résumée dans la devise : Je suis mes propres pas. — Et il faut être ici attentif à l'ambiguïté sémantique du verbe. S'agit-il d'être ou de suivre ? Esprits libres, pour lesquels fidélité et honneur constituent un principe de vie, les Pikkendorff n'aiment rien tant, en effet, que l'action — et de préférence l'action purement gratuite, pour la seule Beauté du geste — et de l'attitude précisément. Bien davantage que des «porte-parole» — au fond, ils parlent peu, à l'exception de Frédéric de Pikkendorff, le co-narrateur de Hurrah Zara ! —, chaque Pikkendorff semble être une image dont la seule apparition subjugue, se tenant sans cesse au bord de l'abîme dont leurs yeux semblent être remplis, sans que leurs pas ne s'écartent du gouffre - ou n'hésitent. C'est ainsi, pas après pas, tandis qu'ils tracent leur propre route, que les Pikkendorff traversent l'existence, eux dont Frédéric retracera l'épopée, suivant ainsi ses propres pas familiaux, à rebours, les suivant même à la trace, parfois par des chemins de traverse. Car si l'on entend «être ses propres pas» dans la fameuse devise, alors, celle-ci évoque une traversée. Traversée du temps, traversée de l'espace, d'est en ouest («confins chiliens»), du nord au sud («confins septentrionaux»), mais aussi traversée d'une bonne part des romans de Jean Raspail... Et que la Grande Ancêtre, Zara, remontât aux temps obscurs des barbares — image saisissante par laquelle s'ouvre Hurrah Zara ! — ce n'est évidemment pas un hasard. C'est tout notre monde occidental, toute notre civilisation que traverse de part en part la dynastie des Pikkendorff. Traversée du temps, donc... Ils sont de toutes les guerres ou presque, de tous les bouleversements qui ébranlèrent les assises d'un monde auquel ils ne se rattachent toutefois que par choix librement consenti. De vrais anarchistes, en effet, ces Pikkendorff ! — ni dieux ni maîtres ne les choisissent ; ce sont eux qui se les choisissent —; mais des anarchistes amoureux d'un ordre supérieur dont le monde n'offre qu'un reflet fort imparfait, parce qu'il s'y mêle toujours quelque compromis douteux, quelque infamie inavouable, quelque trahison... Toutes choses auxquelles un Pikkendorff ne saurait adhérer. Alors, d'un geste, d'une attitude, il rectifie sa tenue — et celle d'un monde toujours un peu disposé à se laisser aller... Lui, il suit ses propres pas. Que ceux-ci le conduisent à sa propre mort, rien de plus commun ; du moins sa mort sera-t-elle librement consentie, elle aussi, dans une belle attitude... Giono déclara à propos de son grand héros, Angelo, que lorsqu'il en avait eu l'inspiration, il s'était représenté un épis de blé doré sur un cheval noir. Une image digne d'un Pikkendorff, assurément. Une image tout en colonne vertébrale. Et sans doute y a-t-il un peu de cela chez Jean Raspail : les Pikkendorff ont en charge, dans ses oeuvres, d'y sauver le sens de l'action épique, au sein d'un monde voué aux préoccupations les plus prosaïques, aux soucis de soi les plus mesquins dans le cercle étriqué d'un quotidien gris (voir les "hommes gris" de Septentrion), dépourvu de toute grandeur. Les fantômes des sept cavaliers du roman éponyme traversant la banlieue grise d'une ville quelconque d'aujourd'hui en offrent une image particulièrement saisissante. L'évasion n'est pas dans la quête d'un passé révolu; elle est dans la quête du souvenir, sauvé in extremis de l'ensevelissement, - elle est dans la quête de la mémoire vivante donc, incarnée, revisitée, sans cesse, et dont la présence réelle guide les pas. En ce sens, la mémoire n'est ni réceptacle voué à enrichir le musée des choses passées, ni urne funéraire ; elle est le principe actif d'une action dont la légitimité plonge ses racines dans sa propre histoire qui, ainsi, ne cesse de renaître et de revivre. Tels sont les Pikkendorff. Philippe Hemsen |
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Big Nose Piquebot |
Éléna de Pikkendorff |
Deux images inédites de Jacques Terpant |
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