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JEAN RASPAIL & DINO BUZZATI

JEAN RASPAIL & JEAN GIONO

         Jean Raspail & Jacques Perret (1901-1992)

 

 

A propos d’Un général qui passe, Dominique Eril écrivait en 1995, dans le magazine LIRE : « Certains auteurs confondent allégrement bonheur d'écrire et bonheur d'écriture. D'autres s'imaginent qu'il suffit d'aligner des mots pour faire des phrases. Il y en eut tout de même quelques-uns pour écrire des livres avec le sourire et savoir le provoquer chez tout lecteur bien né, à jeun et normalement constitué. Jacques Perret  était de ceux-là. Plutôt qu'un ton, il avait trouvé une voix. Plus qu'un style, une malice. Son esprit très français se retrouvait dans ses nouvelles, un modèle du genre. Les amateurs se souviennent avec délice du Machin, de la Bête Mahousse et de Trafic de chevaux»...

... Quant à Jean-Claude Lamy, il notait dans Le Figaro du 12 décembre 1992, peu après la mort de Jacques Perret :

«L'aventure avait trouvé son gentilhomme en Jacques Perret. Quand on le suit à la trace, au fil d'une vie digne d'un mousquetaire ou d'un corsaire, dans la tradition d'Henry de Monfreid et de son cadet Roger Nimier, c'est d'abord un caractère insolite qui surgit: celui d'un écrivain et d'un journaliste dont l'indépendance et le talent narquois marquèrent le siècle à travers une oeuvre devenue classique.»

Né à Trappes (Yvelines), le 8 septembre 1901, Jacques Perret tenait de son père son goût de l'histoire et de son grand-père l'art du dessin. Après avoir décroché une licence de philosophie, c'est donc tout d'abord comme illustrateur qu'il gagnera sa vie. Très vite, cependant, il cède à l'appel du voyage 

En 1930, sa découverte de la Guyane le marque profondément; et déjà -  légende ou un fait.?... emblématique du personnage, en tout cas,  volontiers frondeur -, on racontera qu' il avait à l' occasion agrandi le territoire français en déplaçant les bornes frontières aux dépens du Brésil...

La Guyane constituera donc son second pays - le pays de sa seconde naissance, et lui inspirera plusieurs de ses récits, parmi lesquels Roucou (1936).

L'autre grande "aventure" que Jacques Perret fut amené à vivre, ce fut... la guerre de 40. Fait prisonnier par les Allemands, le caporal Perret tente en vain de s'évader par trois fois, jusqu'en 1942 où, enfin, il  réussit à s'échapper du camp disciplinaire où il avait été enfermé, rejoignant aussitôt Paris, où sa femme, Alice, l'attend... Toute cette histoire constituera par la suite la matière de son roman sans doute le plus célèbre, Le Caporal épinglé (1947). Mais c'est en 1951 qu'il accède réellement à une manière de notoriété dans le grand public, en publiant Bande à part, une évocation de sa vie de maquisard. Pourtant, comme l'écrivit à l'époque Roger Nimier : «Ce n'est pas seulement contre les Allemands qu'il prit le maquis, mais en homme des cavernes contre les hommes de l'aluminium et du nylon...»

Bande à part ayant connu un beau succès en librairie, Jacques Perret profita de la manne pour se lancer dans une nouvelle aventure, avec l'achat d'un voilier - «sloop à tape-cul de 7,80 mètres doté de deux mâts.» Et vogue le navire !... Mais voici la guerre d'Algérie qui se déclare. Fidèle à lui-même, Perret s'engage à fond pour l'Algérie française... Ce qui lui vaudra d'être spolié en 1963 d'une médaille militaire pourtant chèrement acquise... et aussi d'un droit de vote dont le monarchiste Jacques Perret n'avait au demeurant jamais usé!...

«Des malheurs familiaux, un désespoir discret devant ce qui lui apparaissait comme une désagrégation de son pays, la délicatesse des solitaires qui commencent à avoir le sentiment de gêner dans une époque qui n'est plus la leur : Jacques Perret est mort de loin, l'œil ironique et triste, comme font les seigneurs.» (Renaud Matignon in Le FIGARO, décembre 1992)

Au tout début des années 80, Bernard Pivot avait eu l'idée d'inviter Jacques Perret sur la plateau d'Apostrophes. Tout ce qu'il était parvenu à faire dire à l'écrivain, après maintes tentatives infructueuses de le faire parler de son oeuvre, se résuma à une formule, laconique et définitive :

« Je suis pour le trône et l'autel. »

*  *  *  *

... Une formule que Jean Raspail mettra dans la bouche de Frédéric Puisant, le héros de sa nouvelle La Clef d'or - publiée dans le recueil Les Hussards (1982, p.69) :

«Pauvre Frédéric... Il n'était qu'un océan de convictions tumultueuses pour la plupart inavouables et qu'il tenait cachées, persuadé qu'il était de leur inadéquation définitive. Il y a quelques années, lors d'une émission d'Apostrophes à la télévision, il avait cependant commis l'imprudence d'abaisser sa garde lorsqu'on lui avait posé la question : «Mais à quoi croyez-vous donc?», répondant d'un trait : «Au trône, à l'autel et aux liens féodaux...» Un tollé! Pis que cela! Un éclat de rire! Il avait perdu d'un coup dix mille lecteurs, la considération de son charcutier et l'estime de son épicière qui lui demandait gravement, tout en n'ouvrant jamais un livre, des conseils de lecture. De la perte de ces deux dernières, il s'était mal remis... »

Clin d'œil plein d'une affectueuse ironie à Jacques Perret, La Clef d'or constitue aussi un très bel hommage de Jean Raspail à celui qui était probablement l'un de ses plus proches amis. Il est vrai que, comme il le notera dix ans plus tard, dans le très bel article, vibrant d'une émotion contenue, publié dans le Figaro-Littéraire (voir Textes divers et entretiens), quelques jours seulement après le décès de Jacques Perret : « Ce n'est pas des lecteurs qu'il avait, Jacques Perret, mais des dizaines de milliers d'amis chaleureux qui, pourtant, ne l'avaient jamais vu et n'avaient jamais entendu le son de sa voix.»

L'influence qu'a pu exercer l'écrivain Jacques Perret sur Jean Raspail est néanmoins, quant à elle, demeurée très limitée. Si influence il y a eu, elle n'est pas à chercher en tout cas dans le style des deux hommes, très différent l'un de l'autre, ni même dans les thèmes, mais bien plutôt dans cette façon de «transiter d'une époque à l'autre, et de se balader de siècle en siècle avec tant de naturel qu'on jurerait qu'il avait vécu deux mille ans», dont parle Raspail, à propos de Perret, dans son article paru dans le Figaro-Littéraire, la définissant comme «sa marque, inimitable et grandiose.» - Une façon de faire que Jean Raspail mettra en oeuvre, avec une grande virtuosité, dans un roman comme L'Anneau du Pêcheur, par exemple.

En fait, plus qu'un Maître en littérature, Perret, aussi admiré fut-il, comme écrivain, par Raspail, incarna sans doute bien davantage encore, aux yeux de celui-ci, une sorte de mentor, - d'archétype du Français dans ce qu'il a de plus précieux : son élégante moquerie de soi et sa mémoire. Deux qualités en voie de disparition... Deux qualités qui, selon Jean Raspail,  sont le propre de la vraie « Droite », comme il le souligne dans une page du Camp des Saints :

«Les vrais amateurs de traditions sont ceux qui ne les prennent pas au sérieux et se marrent en marchant au casse-pipe, parce qu'ils savent qu'ils vont mourir pour quelque chose d'impalpable jailli de leurs fantasmes, à mi-chemin entre l'humour et le radotage. Peut-être est-ce un peu plus subtil : le fantasme cache une pudeur d'homme bien né qui ne veut pas se donner le ridicule de se battre pour une idée, alors il l’habille de sonneries déchirantes, de mots creux, de dorures inutiles, et se permet la joie suprême d'un sacrifice pour carnaval. C'est ce que la Gauche n'a jamais compris et c'est pourquoi elle n'est que dérision haineuse. Quand elle crache sur le drapeau, pisse sur la flamme du souvenir, ricane au passage des vieux schnoques à béret et crie « woman's lib ! » à la sortie des mariages en blanc, pour ne citer que des actions élémentaires, elle le fait d'une façon épouvantablement sérieuse, «conne » dirait-elle si elle pouvait se juger. La vraie Droite n'est pas sérieuse. C'est pourquoi la Gauche la hait, un peu comme un bourreau haïrait un supplicié qui rit et se moque avant de mourir. La Gauche est un incendie qui dévore et consume sombrement. En dépit des apparences, ses fêtes sont aussi sinistres qu'un défilé de pantins à Nuremberg ou Pékin. La Droite est une flamme instable qui danse gaiement, feu follet dans la ténébreuse forêt calcinée.»

Se retrouvent aussi, chez les deux hommes, cet Appel du Grand Large, du vent dans les voiles et des vastes horizons, de l'évasion Anywhere out of the world, pour paraphraser Baudelaire, des Grands Voyages sur la surface du globe terrestre et des Grands Voyages dans les profondeurs oubliées de la mémoire humaine; cet usage de la matière romanesque comme lieu de passage vers les vastes horizons, comme lieu d'évasion... Et puis ce goût pour le beau «geste», pour «l'attitude» - un mot-clé de l'univers romanesque de Jean Raspail qui notera, dans les Sept Cavaliers... : «L'attitude, c'est souvent la colonne vertébrale de l'âme.»

En outre, comme le suggère du reste le titre même auquel fit appel Jean Raspail pour son recueil de nouvelles dans lequel parut La Clef d'Or, Jacques Perret appartenait à cette génération d'écrivains se rattachant à une longue chaîne, bien plus ancienne qu'eux,  qui, pour conjurer la menace d'extinction qui  pesait sur eux, se baptisèrent du beau nom de Hussards :

«Je ne sais pas si les "hussards" n'auraient accepté parmi eux. Je suis un peu plus jeune qu'eux, qu'ils soient vivants ou morts. Ils étaient gais, légers, merveilleux, profonds, impertinents. Au temps de leur triomphe, je n'existais pas, je voyageais, j'étais ailleurs et nulle part et j'ai écrit un peu trop tard, en ces années recuites où les carottes sont cuites. Mes hussards à moi sont des ombres, des silhouettes attardées. Leurs élans inutiles sont d'immenses regrets. Leurs trompettes retentissent sur tant d'espérances couchée. Cela n'empêche pas la musique...»

«Une silhouette attardée », voici, sans doute, comment apparut Jacques Perret à Jean Raspail tout au long de leurs années d'amitié... Et l'on sait combien les «ombres, les silhouettes attardées » sont au cœur de son oeuvre...

Philippe Hemsen